Les universaux en musique et la recherche globalisante

 

            La recherche d'universaux en musique n'est pas du seul ressort des ethnomusicologues, même si par essence, leurs travaux ont pu nourrir de façon substantielle cette recherche.

La réponse à une interrogation du type " y a-t-il des universaux en musique" permet-elle de cerner la nature même de la musique, et de s'approcher d'une définition universelle ?

Le terme "universaux" pose déjà un premier problème : entend-on par là absolu (ou universel), général, très probable ?

Alfonso Padilla (in "les universaux en musique", Actes du 4è congrès international sur la signification musicale, publications de la Sorbonne) souligne le fait qu'une culture ait ou non un concept de musique, qu'elle considère ou non un phénomène comme musical, cela n'empêche pas qu'une autre culture le fasse. On ne peut donc pas proposer une définition universelle de la musique, mais on pourra chercher une définition à partir de la détermination de ses universaux. Analysant nombre d'études de chercheurs, Padilla synthétise  en proposant cette grille d'universaux :

a) Du point de vue du caractère social général de la musique, nous dirons qu'elle

- se trouve dans toutes les sociétés comme phénomène acoustique (pas nécessairement conceptuel);

- est destinée à être écoutée plus qu'à être lue;

- a un fondement biologique (inné et héréditaire) et aussi culturel (des conventions apprises);

- connaît des formes vocales dans toutes les cultures connues;

- accomplit un réseau complexe de fonctions;

- est en processus constant de changement.

b) Du point de vue des caractères acoustiques et du langage présents dans toutes les cultures musicales connues, la musique

- se compose des éléments acoustiques fondamentaux : hauteur, durée, intensité et timbre

- est réglée par des préceptes et conventions (explicites ou non) touchant à la structure, la grammaire et la syntaxe de la musique, mais toutefois pas par des règles universelles.

c) Du point de vue des principes structurels plus généraux de la musique,

- elle se base sur le jeu dialectique d'opposition (dualisme) d'éléments contraires, et l'organisation du discours musical se fonde sur les phases de thèse, antithèse et synthèse plus ou moins stables;

- elle se base sur l'antinomie des principes de répétition / non répétition;

- elle repose sur les principes de tension et détente;

- dans toutes les cultures musicales connues opèrent quatre principes fonctionnels primordiaux : l'introductif, le principe d'exposition, celui de développement et le finissant et leurs combinaisons;

d) Du point de vue de la structure spécifique (de surface)

- de toutes les pièces musicales existantes ou connues, la musique ne connaît pas d'éléments absolument universels.

Si John Blacking avançait que les universaux ne doivent pas être cherchés seulement dans les propriétés acoustiques ou structurelles de la musique, mais également dans les conditions sociales où elle se produit, d'autres grilles d'universaux du point de vue de la structure spécifique de surface ont cependant été proposées.

Bruno Nettl (in "on the questions of universals", the world of music, vol. XIX, n°1-2, 1977) énumère ainsi des caractères structurels communs dans toutes les musiques connues :

- l'intervalle de seconde majeure;

- la ligne mélodique descendante;

- la répétition;

- la variation;

- la présence de certaines structures rythmiques;

- l'utilisation d'échelles tetratoniques et pentatoniques [le pentatonisme et ses différentes manifestations est aussi mis en avant par Tran Van Khê] composées d'intervalles de seconde majeure et de tierce mineure;

- le chant en octaves;

- la structure strophique des chants;

- l'utilisation d'idiophones.

On pourra lira sur le sujet, outre l'article d'Alfonso Padilla (ibid.), celui de Gilbert Rouget "La répétition comme universel du langage musical à propos d'un chant initiatique béninois" (in Firenze Léo S.Olschki editore MCMXC)

                       

L'idée séduisante de recherche de traits universels, d'éléments formels que l'on retrouverait dans toutes les cultures du monde a été mise en pratique par certains ethnomusicologues dont la discipline est toute appropriée à ce genre d'études. Le résultat a donné naissance à des démarches globalisantes parfois fort contestables car trop ambitieuses.

On peut s'intéresser aux études d'Alan Lomax, ethnomusicologue américain des années 60. A partir d'un échantillon de 233 items, Lomax a tenté de mettre en évidence des relations entre musique et société : traits culturels et traits musicaux, à partir de styles d'exécution (Alan Lomax : "folk song style & culture", Ed. new Brunowick transaction book, 1968). Pour exemple, les voix haut-perchées, serrées, tendues seraient l'apanage des sociétés où les femmes sont interdites de rapports sexuels avant le mariage. Au contraire, des contacts sexuels faciles donnent lieu à la correspondance musicale suivante : chœurs, voix graves et ouvertes.

Un chant soliste serait la traduction musicale de sociétés très centralisées, une exécution sans leader celle d'une société à la structure politique simple, un chœur à l'unisson celle de sociétés à haut degré de cohésion ou encore un ensemble de chœurs diffus celle de sociétés dominée par une culture individualiste.

A partir de films, Lomax s'intéressa aussi à la danse en établissant une classification entre type de pas de danse et type de société (ex : pas contrôlés = sociétés de culture du riz ; pas creusés = sociétés nomades sans agriculture ; etc.).

Lomax établira ainsi une carte du monde des migrations et des grandes aires culturelles à partir de ses travaux.

Il ne s'agit pas ici de reproduire les conclusions de l'auteur dans leur intégralité, mais de donner un exemple d'une recherche (parmi d'autres) qui, malgré des dehors très séduisants, fit l'objet de nombreuses critiques : 233 items semblent bien peu pour tirer des conclusions si générales ; la cohérence des catégories de société n'est pas toujours bien pertinente, etc.

On comprendra dès lors que ce type de démarche est aujourd'hui regardée avec une attention très critique.

 

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