Les classifications traditionnelles (ou vernaculaires)

 

            Donner un nom aux objets, aux êtres et aux entités qui nous entourent, hiérarchiser, ordonner le monde environnant pour se situer et se repérer... bref "penser le monde" est typiquement humain. Les instruments de musique échappent rarement à cette nécessité qu’a l’homme de dénommer et de classer tout ce qui fait partie de son univers.

            Chaque société vivant dans un environnement naturel et matériel différent et possédant un mode de pensée spécifique, les classifications vernaculaires en matière de musique et d’instruments sont, de même, liées à une culture donnée, adaptées et en adéquation au système culturel en usage, conscient ou inconscient. La classification organologique en usage aujourd’hui parmi le milieu scientifique et qui prétend à l’universalité est elle-même issue d’une histoire et d’une évolution de la pensée.

            Le système chinois est probablement le plus ancien qui soit connu (23è siècle avant J.C.). Il est basé sur huit matériaux fondamentaux entrant dans la fabrication des instruments:

le métal              chin                 (gongs, cloches par ex.)

la pierre             shih                 (ensembles de carillon de pierre par ex.)

la soie                 ssu                  (instruments à corde par ex.)

le bambou           chu                  (flûtes par ex.)

la calebasse       p’ao                 (l’orgue à bouche par ex.)

la terre               t’u                   (flûte globulaire type ocarina par ex.)

le cuir                 ko                   (les tambours par ex.)

le bois                 mu                   (tambours de bois rituels par ex.)

            Ces matériaux, sources sonores, ne renvoient pas aux timbres, même si la croyance prêtait aux sons une influence sur l’équilibre de la nature et du pouvoir politique. Cette catégorisation des matériaux sonores renvoient plutôt à une pensée philosophique de nature essentiellement cosmologique en relation avec les saisons et les vents. Le principe hiérarchique se base sur le concept du chi, l’énergie, le souffle, l’esprit. 

            Dans la Grèce antique, la voix, considérée comme un instrument, occupe une place privilégiée. Les instruments proprement dits appartiennent à une catégorie inférieure. On connaît la lutte entre Apollon et Marsyas qui donne les «cordes» (la lyre) vainqueur sur les «vents» (l’aulos). En réalité, l’intérêt portant plutôt sur les effets des sons sur l’âme et sur la nature, il n’existait pas vraiment une classification mais plutôt une science de la musique. En effet, l’importance donnée à la théorie (notions d’accords, d’intervalles, de dissonance et de consonance) a permis de développer les prémisses de la «science des sons», ou acoustique, dans un but d’interprétation philosophique et cosmologique. Certaines théories ont été transmises jusque dans l’Europe du XVIIè siècle. La théorie veut que tout mouvement produise des sons, et de même, le mouvement des sphères célestes produit-il des sons inaudibles pour l’oreille humaine mais ayant une influence sensible sur les humeurs et l’âme. Sur cette croyance, se fonde l’idée d’un ordre harmonieux de l’univers.

            Vers la fin de l’époque antique (début du 4è siècle), la notion d’instruments soufflés, encordés et percutés sera à l’origine des familles en usage dans la classification occidentale: vent, cordes, percussions.

            Le système indien est finalement celui qui a donné naissance à la classification de Sachs et Hornbostel. Il semblerait en effet que Victor Mahillon, conservateur du musée instrumental du conservatoire royal de musique de Bruxelles, qui jeta (en 1893) les bases de la classification S/H (finalisée en1914) utilisée de nos jours s’en soit inspiré.

            Dans un chapitre du Nâtya shâstra, ouvrage "révélé" à Bharata par le dieu Brahmâ et qui constitue probablement une compilation, en sanscrit, de textes très anciens (antérieur au IIè siècle de notre ère), les instruments de musique sont classés en quatre catégories selon des paramètres morphologiques qui sous-tendent leur mode de production sonore:

- les «tendus» (tata vâdya) seraient les instrument à cordes,

- Les «recouverts» (avanaddha vâdya) représentent en quelque sorte les tambours à membrane,

- les «creux» (shûsirâ vâdya) seraient les instruments dans lesquels on souffle,

- enfin la catégorie ghana vâdya, «solides» préfigure celle des idiophones, comme les cymbales, les cloches, les grelots...

            Ce système est un des rare système traditionnel qui ne se base pas sur une conception philosophique du monde, même si les instruments possèdent une forte connotation religieuse. Cela n’empêche pas de nombreux traités indiens d’évoquer la dimension métaphysique de la musique.

 

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